Cette semaine, on vous propose de (re)découvrir “Tinselwood”, le film documentaire de Marie Voignier. De l’écriture, en passant par le tournage jusqu’à la post-production, la réalisatrice revient dans un entretien, sur son film ayant été projeté et sélectionné dans de nombreux festivals.
Le film “Tinselwood”, de Marie Voignier, a connu de nombreuses projections et sélections en festivals. Il a été entre autre, finaliste du prix Marcel Duchamp au Centre Pompidou en octobre – décembre 2018, projeté à l’espace Saint Michel dans le cycle “5 films africains” programmé par Maison Cinéma à Paris, au Laxart à Los Angeles, au First Look Museum of the Moving Image, à New York, au Festival Jean Rouch au Musée de l’Homme à Paris, au Docfilm Fest à Hambourg, au Movimenta Festival Biennal à Nice en 2017, au Guangdong Times Museum à Guangzhou, Canton, au Viennale en Autriche (2017), au festival du nouveau cinéma de Montréal en 2017, aux États Généraux du film documentaire la même année à Lussas, au Fid Marseille en Compétition Internationale (Mention Spéciale Prix Georges de Beauregard International) en 2017, au Berlinale à Berlin en 2017.
Un film qui a visiblement plu et beaucoup voyagé. Avant de connaître un tel succès, l’auteure a réalisé un travail de longue haleine.
Interview réalisée par Céline Latchimy-Irissin.
OI>Film : À propos de l’auteure-réalisatrice :
Marie Voignier, artiste, vit et travaille à Paris. Après des études scientifiques, elle rentre à l’École des beaux-arts de Lyon où elle réalise ses premières vidéos, puis Le Bruit du canon, Hinterland et Hearing the Shape of a Drum. La galerie Marcelle Alix a présenté sa première exposition à Paris en 2010. Marie Voignier enseigne l’art et la vidéo à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Elle a réalisé son premier long-métrage, “l’Hypothèse du Mokele-Membe” en 2011.
OI>Film : Pourquoi ce sujet et quelles étaient vos intentions ?
Tinselwood je l’ai fait dans la forêt du sud-est du Cameroun, à la suite d’un premier film que j’avais fait dans cette région, qui s’appelle “l’Hypothèse du Mokele-Membe”. Ce film n’a rien à voir avec “Tinselwood” car je suivais les recherches d’un cryptozoologue français : c’est un homme qui cherche un animal, le Mokele-Membe qui n’est pas reconnu par la zoologie officielle car il n’a pas encore été découvert. Cet homme mène plusieurs années de recherches dans cette forêt alors que l’on ne sait pas s’il a une existence réelle ou imaginaire. Et donc pour le tournage de ce film, je suis allée dans cette forêt du sud-est camerounais.
Quelques années après, suite à plusieurs lectures et recherches dans cette région où avait été tourné ce premier film, j’ai voulu y revenir mais cette fois-ci, plutôt pour parler des traces de la colonisation française dans cette région très peu peuplée, et qui a été exploitée brutalement par les allemands puis les français, notamment pour l’exploitation du caoutchouc et d’autres ressources naturelles. Et moi, la forêt que j’avais arpenté avec le cryptozoologue pour rechercher la bête, toutes ces routes avaient été construites par le travail forcé ou d’autres formes de brutalité ; ce dont je n’avais pas forcément conscience lorsque j’y étais pour la première fois. Donc j’ai voulu revenir à cet endroit et discuter avec certains habitants que j’avais déjà rencontré mais sur un autre sujet, à savoir ce douloureux souvenir de la France à cet endroit.
OI>Film : Comment s’est articulée la réalisation du film ?
J’ai fait un premier séjour où j’ai fait des entretiens avec les habitants, à peu près une quinzaine voire une vingtaine, pour voir quels souvenirs il y avait de cette exploitation coloniale. Un an plus tard, je suis revenue pour faire le tournage du film “Tinselwood”, dans lequel j’ai décidé de partir un peu de ce que j’avais dans les entretiens. Par ailleurs, ces entretiens ont été publiés dans un livre, qui s’appelle “la piste rouge”.
Ce qui revenait surtout dans ces entretiens, c’était la volonté de parler non pas du passé, mais du présent et de l’avenir. J’ai donc essayé de construire “Tinselwood” autour de ces traces du passé colonial dans la forêt. C’était un peu mes questions de départ : peut-on encore lire dans le paysage les traces de la présence coloniale de cette histoire-là ? Dans le présent des activités économiques, quelles traces ça a pu laisser ? C’est un film qui s’articule à la fois sur une zone d’exploration du paysage et des activités économiques des habitants aujourd’hui, dans cette forêt que j’ai essayé de filmer comme un monument
OI>Film : Comment s’est passé le tournage ? Avez-vous eu des difficultés à tourner dans cette forêt primaire ?
Ce qui est compliqué ce sont les conditions matérielles et non humaines car j’avais déjà des contacts et des gens très bien m’accompagnaient. Humainement, ça s’est extrêmement bien passé mais c’est surtout des difficultés matérielles que l’on a eu. Vu qu’il n’y a pas d’électricité, il faut une grosse organisation et il faut toujours savoir à quel générateur on va pouvoir recharger les batteries. Le transport, l’état des routes… Ce sont des choses qui sont difficiles car ce sont des régions qui sont complètement isolées et les routes ne sont pas toujours entretenues. C’est d’ailleurs quelque chose dont les habitants se plaignent énormément.
OI>Film : Avez-vous des anecdotes à partager ?
Là, il n’y a rien qui me vient… C’était presque un miracle car tout s’est plutôt bien passé vu les conditions matérielles. On a juste eu au retour une panne de voiture, une fois que tout était filmé. Autant, pour “l’Hypothèse du Mokele-Membe” on avait plein d’éléments qui étaient contre nous (la météo, les autorisations de tournage qu’on n’avait pas eu…) mais pour “Tinselwood”, il n’y a rien qui me vient à l’esprit. Après, il fallait prendre la pirogue et parfois il fallait 6h de pirogue pour se rendre à un endroit de tournage car c’est très isolé. Mais ce sont des choses qu’on savait donc on a pu anticiper. On avait bien préparé le tournage.
OI>Film : Comment le film a été financé ?
J’ai une formation initiale plutôt en tant qu’artiste. Il y a donc une partie des fonds où j’ai recherché dans une bourse du FNAGP [Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques qui accorde des bourses de soutien aux artistes à la production d’oeuvres], puis j’ai rencontré ma productrice Eugénie Michel-Villette, qui m’a aidé à trouver des financements du côté du cinéma, du CNC (un financement pour l’écriture). Le budget était relativement serré. On était plutôt partis avec des aides à l’écriture et des petites bourses.
Pour l’organisation du tournage sur place, la boîte de production s’est tournée vers une société de production camerounaise partenaire, Kopa House.
OI>Film : Quels retours avez-vous eu lors des projections en festivals ?
Ce qu’il faut préciser, c’est un film qui parle beaucoup de paysage et de rapport au paysage. La notion du grand écran est relativement importante dans ce film. Il faut donc prévenir les futurs spectateurs qui vont le voir sur un petit écran, qu’il y a une dimension dans ces paysages, destinée aux grands écrans. Ensuite, j’ai eu toute sorte de retour mais les retours qui me touchent le plus sont ceux qui sont faits par les personnes qui connaissent les lieux ou le pays, donc les spectateurs Camerounais issus de la diaspora (car je n’ai pas pu encore le présenter au Cameroun).
Ce sont des personnes qui découvrent une région dans leur pays qu’ils ne connaissent pas du tout, ou alors qui connaissent un petit peu et qui apprécient le rapport au paysage, à la temporalité. Car la temporalité dans ce film, est adaptée au contexte de cette forêt, qui a un rythme beaucoup plus lent que la ville. J’ai donc ce type de retour qui me touche le plus.
OI>Film : Des projets à venir ?
Depuis, j’ai fini un autre film qui a du mal à tourner en festivals puisqu’il y a beaucoup moins de festivals qui se passent cette année. Ce film s’appelle “NA China”, je l’ai fait après “Tinselwood”. Ce n’est pas vraiment dans la continuité mais c’est une sorte de fil que j’ai continué de parcourir sur la question de l’économie et de se débrouiller avec l’économie. Dans ce film, j’ai suivi des commerçantes Camerounaises, Nigérianes ou du Kenya, qui sont installées en Chine. Elles font ce commerce entre leur pays du continent africain et la Chine. Le film a été tourné à Guangzhou (aussi appelé Canton), en Chine et qui a aussi pris un certain temps à se faire. Le film est sorti en 2020.