« Cette aventure, c’était le rêve de Jace »
Réalisateur installé à La Réunion depuis 2002, Sami Chalak se passionne pour Madagascar depuis longtemps. Il y a vécu cinq ans et tourné de nombreux sujets. Après avoir suivi Jace à Tchernobyl, cet été, pour un nouveau projet, le réalisateur est actuellement à Paris.
Sami Chalak a accepté de revenir sur la belle aventure du documentaire « Du graffiti dans les voiles ». Une rencontre inédite entre la crème du street-art européen et les pêcheurs vézo à Madagascar.
OI>Film : Comment est née l’idée de réaliser « Du graffiti dans les voiles ? »
Sami Chalak : Quand je suis arrivé à La Réunion, j’ai rencontré Jace. Avant de venir m’installer en 2002, j’ai habité à Antanarivo pendant cinq ans. À cette époque j’ai beaucoup voyagé sur la côte Sud Ouest de Madagascar où j’ai rencontré le peuple Vézo. J’ai réalisé de nombreux sujets avec eux. Jace était déjà allé à Madagascar et nous avons décidé d’y retourner ensemble. C’était en 2009, on a tourné des films autour du projet de Jace de peindre les Gouzou sur les voiles des pirogues à Anakao. On a sorti un livre « Madakao » avec un CD contenant deux petits films sur nos voyages. Déjà en 2009, Jace rêvait de faire vivre cette expérience malgache à ses potes grapheurs. Alors, on a monté le projet de réaliser un vrai documentaire et donc, on a lancé la machine.
OI>Film : Dans ce documentaire, vous nous plongez dans l’intimité de Jace, on le voit face caméra, ce qui est très rare … Comment avez-vous fait pour le convaincre ?
Sami Chalak : on est devenu très copains et on avait tous les deux envie de faire ce documentaire. Pour Jace, c’était vraiment son rêve ce projet avec les street-artistes. Or, s’il avait été masqué ou flouté, ça n’aurait pas eu de sens. Je n’ai rien forcé du tout, il l’a fait avec beaucoup de plaisir. Jace est quelqu’un de très généreux. Et finalement, on ne le voit jamais dans les yeux, il porte toujours son bonnet et ses lunettes. D’ailleurs, à ce propos vous remarquerez que l’on ne voit pratiquement pas Ariz. Il a demandé à ce qu’il soit flouté et au montage j’ai réalisé que ça ne marchait pas du tout alors on a décidé de le sortir du lot, ça n’a pas été facile… C’est dommage d’autant que désormais Ariz montre son visage face caméra. C’est comme ça.
OI>Film : Sacré challenge de réunir neuf street-artistes venus d’Europe et de La Réunion, dans un village malgache pour peindre une quarantaine de voiles…
Sami Chalak : C’était le stress ! D’abord parce que ça a été un miracle de réunir Jace, Psyckoze, Ariz, Kid kréol & Bougie, Seth, CartOne, Bo130 & Micro Bo en même temps et pour trois semaines au bout du monde ! Et puis, il a fallu gérer toute la logistique, les guides, les voitures, l’acheminement de la peinture, la nourriture, les maladies … Nous avons pu compter sur des partenaires comme Planète Thalassa qui nous a dit oui tout de suite. Sans Mauvillac, ça n’aurait pas été possible non plus et il y a Air Madagascar qui, en plus de nous faire de bon prix, nous a permis d’assurer tout le fret. C’était compliqué pour la logistique et puis, on ne savait pas trop comment allaient réagir ces artistes très urbains. La plupart ont l’habitude de voyager, mais souvent ils s’arrêtent dans les grandes villes, restent deux trois jours et repartent. Dans cette aventure, ils se sont réellement confrontés à la réalité du pays et ils se sont retrouvés face à eux-mêmes. Chacun s’est trouvé ses repères dans son coin, tissant des liens avec les gens qui leur ont permis de peindre chez eux. Le soir, on se retrouvait tous à l’hôtel et le matin, on repartait tous de notre côté pour la journée. Côté tournage, nous étions quatre, justement parce qu’il fallait suivre les artistes éparpillés dans le village.
OI>Film : Comment les Malgaches ont-ils accueilli le tournage ?
Sami Chalak : comme je connais très bien le village d’Andavadoaka, je n’ai pas eu de mal à prévenir mes contacts de ce que l’on allait faire, maintenant qu’il y a le téléphone c’est bien plus pratique qu’avant. Encore que, finalement, je ne l’ai pas prévenu trop longtemps à l’avance, ça ne sert pas à grand chose. En fait, les villageois étaient surtout ravis que l’on change leur voile (le principe du projet était de récupérer des vieilles voiles inutilisables pour peindre dessus, en échange de voiles neuves, NDLR). Pendant les trois semaines où les artistes ont peint, les familles se moquaient un peu de l’aspect artistique… Mais lorsque l’on a fait le final sur le lagon avec les 49 voiles qui se sont élancées, alors là, ça était la grosse fiesta sur la plage. Ils étaient tellement fiers. On avait pas encore les drones à cette époque, ça aurait fait des images incroyables…
OI>Film : Que sont devenues les voiles peintes ?
Sami Chalak : La plupart des voiles continuent de voyager en métropole, dans des musées et des galeries. Une quinzaine de toiles dorment ici à La Réunion. Ce sont de très grands formats, alors, ce n’est pas évident de les exposer… Nous n’avons pas laissé les voiles aux villageois car ils ne pouvaient plus s’en servir. Avant d’être peintes ces voiles étaient déjà hors d’usage, mais une fois enduites elles auraient été bien trop lourdes pour les pirogues. Ce n’était pas navigable.
Quant aux œuvres dans le village, il reste quelques graffitis sur des maisons en dur et aux abords de la route.
OI>Film : Il y a eu une vente aux enchères dont la recette était destinée au village d’Andavadoaka, combien avez-vous récolté et qu’avez-vous réalisé ?
Sami Chalak : lors de l’exposition, nous avons vendus trois toiles aux enchères : une de Jace et deux de Kid Kréol & Bougie pour une recette de 9 000 euros. Malheureusement, cette somme dort toujours sur le compte de l’association. D’abord parce que nous ne pensions pas que c’était si difficile d’utiliser cet argent à Madagascar et ensuite parce que nous n’avons trouvé personne à qui faire confiance pour cette mission. Nous n’avons jamais fait ça avant et finalement, on s’est rendu compte que les attentes des villageois ne sont pas celles que l’on pensait. On pensait réaliser un puit mais en fait, les villageois veulent des médicaments. Or, ce n’est pas possible de leur offrir cela pour pleins de raisons… Du coup, le projet c’est d’agrandir l’école publique. Ça sera fait, mais le temps malgache n’avance pas comme le notre …
OI>Film : Quelle est votre actu ?
Sami Chalak : Je viens de rentrer de Tchernobyl où j’ai suivi Jace dans un trip graff de cinq jours. Nous étions dans la ville proche de la centrale, il a graffé sur ces ruines. C’était très particulier. On a fait ça dans le cadre d’une expo sur ce thème, prévue pour la fin de l’année. Je vais réaliser un clip. En ce moment, je suis à Paris pour continuer le projet « Démos » en partenariat avec le Philharmonie de Paris. Il s’agit d’un programme national dont font partie 80 enfants de la Réunion. Le principe est de permettre à des gamins issus de tous bords de jouer dans un orchestre de musique classique. Je co-réalise un documentaire avec Pascal Albertini, il se passe de très belles choses ! Sinon, je viens de finir la production du documentaire « Les Raideurs de l’ombre » et je suis en train de monter un film de Rémy Tézier, « Quand les baleines et les tortues nous montrent le chemin », pour Arte. Enfin, j’ai un projet sur Madagascar mais je conserve mon jardin secret !