Le cinéma à La Réunion est apparu en 1896 grâce au peintre François Cudenet qui propose les premières projections des films des frères lumières à Saint-Denis. Si en 1969 “La sirène du Mississipi” de François Truffaut est tourné sur l’île, ce n’est qu’en 1978 que le premier long métrage réunionnais voit le jour, avec “Le Moutardier” d’Alexis Alatirseff. Qu’en est-il aujourd’hui ? Focus sur le ciné 974.
Si le cinéma ne cesse de se développer, la cinématographie réunionnaise regroupe principalement des courts métrages et des documentaires. Ainsi, le public pourra visionner Sac la mort (2015), Tangente (2017), Blaké (2019), Baba sifon (2019)… À voir également dans le paysage cinématographique local, Le Mafatais, d’Olivier Carrette, qui, comme son nom l’indique, nous raconte l’histoire de Johan, un Réunionnais vivant à Mafate. Ce moyen métrage de 52 minutes se focalise sur un personnage qui vit comme un marginal. Lorsqu’il fuit vers le littoral, il découvre une vie différente mais aussi rude qu’était la sienne, au coeur de l’île.
Bande annonce « Le Mafatais », à voir sur OI>FILM
Pourtant, il “est difficile de citer un long métrage de fiction réunionnais, à l’initiative d’auteur réunionnais et qui porte l’histoire de La Réunion” déclare Jonathan Rubin, producteur à We Film. Les paysages de l’île ont en effet d’abord servi de cadre naturel à de nombreuses productions du cinéma et de la télévision. Un phénomène toujours en cours puisque l’on “a des films tournés à La Réunion comme “Larguées”, “Papa ou maman 2” mais ce sont des films où La Réunion est juste utilisé en décor” explique le producteur de “Blaké.”
Pour ce dernier, cela s’expliquerait par le manque de formations des auteurs. “De mon point de vue, on n’a pas encore suffisamment d’auteurs à l’échelle du territoire. Si je compare à des territoires de taille semblable comme le Luxembourg, la Slovénie… Ils arrivent déjà à faire des longs métrages qui sortent en salle et qui vont en festivals de catégorie A.”
Pour Guillaume Bègue, scénariste, “je ne pense pas qu’il y ait un manque d’auteurs. Il y a de plus en plus de monde qui se lance dans l’écriture cinéma. On monte en quantité comme en qualité d’ailleurs. Tout n’est pas parfait évidemment, il y a du bon et du moins bon, mais l’engouement est concret, le nombre de projets augmente, et beaucoup de nouvelles têtes font leurs apparitions. Après, c’est toujours compliqué de parler de niveau, certaines personnes avec plus de bagages seront beaucoup plus légitimes que moi pour ça.”
Mais comment et où se former pour pouvoir faire des films ?
Métiers de l’audiovisuel : quelles formations à La Réunion ?
À La Réunion, on retrouve l’Institut de L’images de l’Océan Indien (ILOI), fondé en 1983 par Alain Séraphine. L’établissement d’enseignement supérieur propose à ses étudiants un cursus complet allant de la licence au master. Animation 2D et 3D, création digitale, jeux vidéos, audiovisuel… Autant de domaines auxquels les élèves peuvent se former, avec l’aide d’intervenants professionnels comme Marine Hervé (étalonneuse), Laurent Zitte (réalisateur, producteur, photographe), ou bien encore Jean-Michel Perez (monteur et référent de la formation audiovisuelle). Pour ce dernier, “même si le secteur se développe, ce sont des métiers exigeants et précaires. Il y a de plus en plus de travail mais le développement à long terme passe par la formation et l’affirmation d’un cinéma qui a sa propre identité, sa propre manière de raconter les histoires, quelques soient les sujets abordés.”
“L’arrivée récente d’un BTS audiovisuel à Saint-Denis vient s’ajouter à la formation que prodigue l’ILOI, et puis il y a de plus en plus de formations plus ponctuelles ici et là. Pas mal d’associations font un travail assez remarquable, via des actions variées auprès du jeune public, des quartiers, et participent à une démocratisation du cinéma. Des résidences se mettent en place régulièrement, pour le court, le long, le documentaire. Sans parler de la naissance de plusieurs plateformes de VOD. Il y a pas mal de remous au niveau institutionnel, mais dans l’ensemble, ça va plutôt dans le bon sens, et si la crise sanitaire ne fait pas trop de dégâts, on peut espérer que ça continue dans cette direction” renchérit Guillaume Bègue, secrétaire à l’association Les cinéastes de La Réunion.
Beaucoup pense que faire du cinéma est inaccessible. Pourtant, en matière d’aides, “La Réunion est un territoire, à l’échelle nationale, extrêmement privilégié pour le cinéma” explique Jonathan Rubin, producteur à We Film.
Les aides pour réaliser un film à La Réunion
Il existe en effet de nombreuses structures et dispositifs qui œuvrent dans l’accompagnement des cinéastes. Parmi elles, on peut citer l’Agence Film Réunion et la Région Réunion qui proposent l’aide à l’écriture du scénario (une aide à hauteur de 3 000 euros), la résidence d’écriture, l’aide au développement, l’aide à la production, l’aide à la réalisation de courts métrages…
À noter que ces aides sont accessibles pour les projets mettant en valeur l’île de La Réunion et l’Océan Indien. Par ailleurs, les aides au développement et à la production sont destinées aux producteurs. Les projets peuvent être de formats et de genres divers (film d’animation, série, documentaire de création, fiction…).
Quelques chiffres
L’aide au développement et l’aide à la production s’élèvent toutes les deux à un max de 40 % des dépenses de développement éligibles comme le repérage, la réécriture, les entretiens…
Toutefois, si le projet à une dimension nationale et internationale, l’aide à la production s’élèvera jusqu’à 45 % avec un montant variable selon le format. On compte 100 000 euros pour un 52 minutes, 150 000 euros pour un 90 minutes et jusqu’à 300 000 euros pour un long métrage de fiction ou d’animation.
L’aide à la réalisation de courts métrages est établie à 50 % des dépenses locales hors taxes, comprises entre 15 000 et 30 000 euros.
Des financements recherchés par les boîtes de production. Si la cinématographie locale s’est développée grâce à l’utilisation du numérique, notamment par la création du studio du développement d’animation Pipangaï en 1995, aujourd’hui, d’autres structures comme le studio Gao Shan ayant produit “Adama”, We Film qui a produit “Blaké”, participent à mettre en avant l’île.
Les films réunionnais en manque de visibilité
Là où les films venant de La Réunion ont beaucoup de difficultés, ce n’est pas dans la capacité de les produire mais dans la capacité de les diffuser. Malgré les plateformes VOD comme OI>FILM et des associations comme la Lanterne Magique, Ciné d’îles ou encore Ciné Kour… “On ne montre jamais assez les films. Un film d’auteur c’est deux, trois, dix ans de travail pour le voir enfin sur un écran. En quelques séances il disparaît comme périmé. On est dans un flux d’images permanent, la demande ne fait qu’augmenter et les objets cinématographiques qui sortent du lot sont souvent noyés dans cet océan. C’est dommage. Heureusement les films, quand ils font échos à nos vie, continuent à vivre dans l’esprit des spectateurs” déclare Jean-Michel Perez, le monteur de “Au-delà de Cap Noir” d’Alain Dufau et “Dann fon mon kèr” de Sophie Louÿs.
Des réalisations réunionnaises arrivent toutefois à sortir du lot, à l’instar de “Blaké” de Vincent Fontano, récompensé après avoir été sélectionné au festival du court métrage de Clermont-Ferrand, de « Tangente » de Julie Jouve et Rida Belghiat, sélectionné dans plusieurs festivals et lauréat du prix Océans du scénario (prix décerné par France Ô) ou encore du court métrage “Baba Sifon” de Laurent Pantaléon, sélectionné en 2019 pour le FESPACO et ayant reçu le prix de la meilleure musique originale au festival Prix de court 2020.
Ce qui donnera de la visibilité au cinéma réunionnais selon Jonathan Rubin, c’est bel et bien le long métrage qui s’inscrit davantage dans une économie. Pour le producteur réunionnais, il faudrait que les jeunes auteurs produisent plus de courts métrages pour faire leurs armes.
Quid de l’adaptation à La Réunion ? “Il y a plusieurs soucis qui se posent : les droits sont déjà cédés la plupart du temps. Et du coup ça bloque car les droits peuvent être acquis par une seule personne. Un producteur peut le garder longtemps sans jamais le réaliser. Ça ne résout pas le problème [de visibilité des films]” renchérit Jonathan Rubin.
Les festivals de films à La Réunion
Depuis plusieurs années, les festivals se sont multipliés. Créé en 2005, Fabienne Redt présidait le Festival du film de La Réunion en partenariat principalement avec le TEAT Champ Fleuri à Saint-Denis et la ville de Saint-Paul. Le festival qui a vu sa dernière édition en 2014, mettait en avant des premiers et seconds longs métrages de réalisateurs français. Saint-Denis qui accueille aussi le festival « Ciné Marmailles » de l’association La Lanterne Magique. Un rendez-vous devenu incontournable pour les petits.
Au Port se déroulait également le Festival International du Film d’Afrique et des Îles (FIFAI) de La Réunion dirigé par Mohamed Saïd Ouma. Si ces deux festivals sont aujourd’hui en stand by, les réalisateurs peuvent inscrire leurs films au “Festival du film d’aventure de La Réunion”, au “Festival du Film Citoyen” ou bien encore au « Même pas peur” qui est un festival international du film fantastique de la Réunion.
La ville de Saint-Pierre compte à elle-seule deux festivals : “Écran jeunes” et le “Festival du Film Court de Saint-Pierre”, dirigé par Armand Dauphin.
Pour le Réunionnais Laurent Pantaléon, “grâce au cinéma malagasy, les cinéphiles savent qu’il y a un cinéma de qualité dans l’océan Indien.” Le réalisateur de “Santyé papangèr”, long métrage qui sort cette année, “tente d’atteindre le niveau des cinéastes malagasy. » « Mais il y a encore du chemin” conclut le co-organisateur du festival « Court derrière » dont la première édition a eu lieu en octobre 2019.
Pour Guillaume Bègue, “le cinéma réunionnais est à l’image de l’île. Il est pluriel, intense, complexe, issu de plusieurs origines. Il n’y a pas si longtemps le court métrage “Tangente” de Julie Jouve et Rida Belghiat était présélectionné aux Césars, après avoir reçu des prix un peu partout dans le monde. J’ai passé deux semaines à Paris en février, les producteurs que j’ai rencontré sont maintenant à l’écoute des projets réunionnais. Et là où il y a un énorme changement, c’est que leur vision d’un film réunionnais ne se limite plus à un film léger qui se passerait quasi exclusivement dans un hôtel sur la plage et qui ressemblerait à une pub pour du jus de fruits. Une chose est sûre, le cinéma réunionnais est de plus en plus valorisé à l’extérieur.”
Un cinéma à La Réunion qui manque de visibilité malgré les formations, les aides à la réalisation et les festivals ; mais qui, petit à petit, s’ancre dans le cinéma de l’Océan Indien. Des films réunionnais et de la zone OI, visibles sur notre plateforme OI>FILM !