“Kisa nou lé”, ou en français, “qui sommes-nous ?” Dans son documentaire, Sébastien Clain met un point d’honneur à répondre à des questionnements autour de l’histoire et l’identité réunionnaise. Dans un entretien, il a accepté de revenir sur son film.
Propos recueillis par Céline Latchimy-Irissin.
“Kisa nou lé” part d’un constat : l’histoire et l’identité Réunionnaise sont méconnues par beaucoup. À 35 ans, Sébastien Clain est un réalisateur en herbe. Le cinéma est un domaine qu’il ne connaît pas. Parti en métropole pour des études d’informatique, il effectue entre temps de brefs retours à La Réunion. En 2013, il décide de créer son site internet, histoire-reunion.re dont le but est de récolter des articles, des textes et des ouvrages sur l’île afin de les mettre à la disposition de tous. Son travail de faire connaître l’histoire de l’île, il le poursuit en 2016 en faisant diverses projections, notamment à Lyon, sur le thème de la politique de contrôle des naissances entre les années 60 et 70 à La Réunion.
Un an plus tard, il revient vivre à La Réunion pour continuer ce “travail de vulgarisation de l’histoire de la Réunion. En 2018, les interviews ont commencé, et en 2019, le film est sorti” explique le réalisateur.
OI>Film : La réalisation n’est pas votre métier… Pouvez-vous nous parler de votre parcours jusqu’à la production de votre film ?
Je m’appelle Sébastien Clain, j’ai 35 ans, je suis né et j’ai grandi à La Réunion. Après mon bac, je suis parti en métropole faire mes études, à Paris. Des études d’informatique et de sociologie ensuite, puis je suis reparti dans le domaine de l’informatique, mais pas du tout dans le cinéma. Ensuite, je me suis réinstallé à La Réunion. Mais entre-temps, j’ai tout de même fait de brefs retours à La Réunion, entre 2011 et 2013. Là, j’ai commencé à m’intéresser à l’Histoire de La Réunion et j’ai lancé le site internet histoire-reunion.re qui avait pour but de collecter différents articles, des textes et des ouvrages qui portent sur l’histoire de la Réunion. Un travail d’archives des différents travaux, plutôt du domaine universitaire, déjà produits jusqu’à maintenant.
Dans cette lignée là, quand je suis reparti en métropole en 2016, je réalisais des conférences, des projections et des débats sur le thème de l’histoire de La Réunion. Le premier était sur Lyon et portait sur la politique des contrôles de naissances à La Réunion dans les années 60 et 70, puis j’en ai fait sur Paris sur le même thème. Le dernier en date, était entre 2017 et 2018 sur la question du retour des Réunionnais sur l’île après être partis vivre en métropole. Ce site internet et ces conférences m’ont donné envie de poursuivre ce travail de démocratisation et de vulgarisation de l’histoire et la connaissance de La Réunion. J’ai donc choisi un autre format, celui du film, car je me suis dit que finalement un film est fait pour être regardé et il est peut-être plus intéressant à voir qu’une vidéo de conférence. Et c’est comme ça que je suis donc allé progressivement vers ce projet de film. En 2018, j’ai donc commencé mes interviews, et le film est sorti en 2019.
OI>Film : Quelles sont vos intentions pour ce film ?
Ce film porte plusieurs questionnements. Premièrement, pour beaucoup de Réunionnais qui partent vivre ailleurs, c’est une fois parti que l’on commence à s’intéresser à l’histoire de notre île. Ce film là, il essaie de répondre à certaines questions que l’on se pose en tant que jeune réunionnais sur notre identité et notre histoire. Il y a aussi la question de “comment après des siècles d’histoire coloniale française, on en est arrivé aujourd’hui à être un département français ?” Ce n’est pas quelque chose que l’on parle beaucoup, on ne l’étudie pas spécialement à l’école. C’est quelque chose qui a un peu été mis de côté, on prend ça comme un acquis le fait que l’on soit français mais finalement, on a jamais réfléchi au cheminement.
Malgré tout, même si on a choisi d’être un département français et de faire partie de la République Française, on a quand même nos spécificités. Ce n’est pas parce qu’on a choisi d’être français, qu’on n’a pas une identité propre, une histoire propre. J’ai donc mis un point d’honneur pour répondre à cette question-là.
OI>Film : Pouvez-vous nous parler de la structure du film ?
Le film est en trois parties : l’histoire de La Réunion, la langue créole et l’identité réunionnaise, notamment en ce qui concerne les dernières générations qui connaissent très peu l’histoire de La Réunion.
OI>Film : Comment s’est porté votre choix sur les intervenants qui apparaissent dans votre film ?
Il y a à peu près 30 % des personnes filmées qui étaient déjà des connaissances. Ce sont des personnes qui étaient déjà très engagées dans la culture réunionnaise et qui portaient déjà un message pertinent que je souhaitais faire passer dans ce film-là. Ensuite, j’ai voulu interroger des personnes connues comme Danyel Waro, mais qui portent aussi un discours très réfléchi, ou moins connues et qui font figures d’autorité comme Axel Gauvin, qui travaille beaucoup sur la langue créole, ou encore Prosper Ève, historien de La Réunion, avec qui j’avais déjà envie de poser certaines questions, bien avant ce projet de film.
OI>Film : Combien de temps a duré le tournage et la réalisation de votre film ?
Les interviews ont commencé en 2018. Le tournage des entretiens, si je les mets bout à bout, m’a pris trois semaines. Deux semaines à La Réunion, puis une semaine en métropole. Mais entre ces semaines, il y a eu des moments où il n’y avait rien. Le montage a duré de janvier à août 2019. Après, il y a eu des périodes creuses où je n’étais pas dessus. C’était une volonté de ma part d’auto produire mon film et d’être totalement indépendant. Il n’y avait donc pas de deadline à respecter. On est sur plusieurs mois de travail en comptant la post-production.
OI>Film : Votre film est auto produit et est disponible gratuitement. Pourquoi ce choix ?
Comme je n’ai aucune expérience dans son domaine, je n’ai pas voulu aller chercher des subventions ni de société de production. Je me suis dis qu’en le faisant par moi-même, je me poserai les limites que je voudrais et que je rendrai le film disponible une fois que je jugerai le travail terminé, sans pression.
Pour mon choix de mettre le film sur Internet en accès gratuit, c’est d’une part parce que j’estime que le film, il n’appartient pas qu’à moi. J’étais là avec une caméra et je filmais des gens qui parlaient mais ce film appartient aussi à toutes ces personnes que j’ai interrogées. Et puis, ce film a pour but de toucher le plus de Réunionnais possible qui sont ou qui ont été dans la même situation que moi : en recherches de notre histoire. Il est donc important qu’ils aient accès aux ressources sur Internet sur ce sujet là.
OI>Film : Il y a-t-il eu des complications ou des difficultés rencontrées ?
Que ce soit de la préparation à la production, je n’ai pas réellement rencontré de soucis particulier. Après, comme je ne suis pas du tout dans le domaine du cinéma à la base, je me suis formé moi-même, sur internet. J’ai cherché comment monter un film, maîtriser le logiciel de montage… C’est ce travail personnel qui m’a pris le plus de temps et d’énergie. Mais c’était aussi très motivant d’apprendre ce nouveau domaine que je ne connaissais pas. C’était sympa comme expérience. La post-production était très enrichissante mais aussi très éprouvante. J’ai passé beaucoup de temps au montage. La première version du film faisait 6 heures ! Et déjà, à 6 heures, j’avais du mal à voir ce que je devais couper. Au final, il fait 2 heures, mais c’était surtout cette partie-là où j’ai vraiment eu du mal car j’ai dû enlever ⅔ du contenu.
OI>Film : Cette première expérience vous a-t-elle donné envie d’aller plus loin et de réaliser d’autres projets ?
Tout à fait. Toujours en auto-production, je travaille sur un film en format beaucoup plus court. Un court métrage documentaire de 20 minutes qui devrait sortir dans les prochains mois.
« Kisa nou lé », un film à voir gratuitement sur notre plateforme OI>Film.