Infographiste, motion designer, enseignant, scénariste, réalisateur de films d’animation et de fiction … Olivier Carrette arbore de nombreuses casquettes et voyage d’un univers à l’autre avec brio. En témoignent ses films : des « aventures de Molman », à « Le Mafatais », en passant par « The Nuklear Family »… De l’animation à l’image réelle, le cinéaste nous dévoile différentes facettes de sa personnalité. Improbable et poétique, Olivier Carrette nous en dit plus sur son travail et sur le long métrage qu’il est en train d’écrire.
Quand avez-vous réalisé votre premier film d’animation, « Les aventures de Molman » ?
Je l’ai réalisé à mon arrivée à La Réunion, en 2002. Je sors à peine de l’école et je suis alors fraîchement engagé au sein de l’ILOI dans ce qui s’appelle à l’époque, le « Sas », une sorte d’incubateur de talents. C’est à ce moment que je peux réaliser mon premier film d’animation dans le circuit pro. En fait, j’ai eu la chance de rencontrer Georges Lacroix, un pionnier de la 3D (Insector, Les Fables géométriques pour Canal +, NDLR). Il était intervenant à l’ILOI. Il a passé la tête au-dessus de mon épaule, il a trouvé mon travail intéressant et comme il était en lien avec Canal +, grâce à lui, la chaîne cryptée à co-produit mon premier film que j’ai donc réalisé, ici à La Réunion. Plusieurs années plus tard, j’ai fait « The Nuklear Family », en 2011, toujours ici.
Aucun rapport avec La Réunion dans votre travail d’animation cependant …
Je pense que Molman, c’est un peu moi qui arrive à La Réunion, j’ai très très chaud, je transpire tout le temps … Mais c’est vrai qu’au fond je dépeins plutôt une Amérique un peu malade que je mets en scène dans mes délires.
Voir The Nuklear Family sur OI>FILM
Justement, du délire, on baigne dedans que ce soit dans « Les aventures de Molman » ou « The Nuklear Family », d’où vous viennent ces idées ? J’aime puiser mon inspiration dans les productions « What the fuck ? ». Ce sont des réalisations où l’on fait un peu n’importe quoi. Un courant où l’on essaye de scénariser des choses complètement improbables. C’est un travail intellectuel particulier le fait d’imaginer quelque chose d’inimaginable ou d’illogique. Et qui du coup, créé un sens nouveau et décalé. Graphiquement, c’est un peu éclaté aussi. Un personnage peut avoir un graphisme et puis un autre, un style totalement différent. Il faut savoir que dans le cinéma d’animation, il y a deux écoles. Soit on rentre dans le circuit de l’industrie, soit on fait des films d’animation un peu comme un artisan. Moi, j’ai choisi la seconde voie, c’est plus difficile d’en vivre mais c’est comme cela que l’on peut s’exprimer librement. Et pour moi c’est la vraie condition. Le cinéma d’animation, c’est tellement laborieux, que si je ne m’amuse pas … je ne le fais pas. J’ai passé deux ans pour réaliser « Les aventures de Molman », mais parce que je le fais tout seul ! Dans le cadre d’un petit studio, ça ne prendrait que quelques mois …
Qu’est-ce que vous avez voulu dire à travers ces films d’animations complètement WTF ?
Je peux être un peu trivial et donner un sens à ce que je fais, mais parfois, je pense qu’il faut laisser parler l’inconscient. Un peu comme si on faisait de l’animation comme de l’écriture automatique. Après, je peux dire que Molman est une critique de l’impérialisme américain et que « The Nuklear Family » est un condensé de toutes les angoisses contemporaines. Ce climat délétère de la lutte de tous contre tout : la guerre des sexes, des religions, le conflit de générations…
Film d’animation, film de fiction… Quel est le plus laborieux à réaliser ?
Je pensais qu’en passant à l’image réelle, ce serait un peu plus léger. C’est vrai qu’il n’y a pas les 10 000 dessins à faire pour boucler 10 minutes… Je pensais donc que ce serait plus facile, mais en fait non, pas du tout ! Parce que j’ai la fâcheuse tendance à tout vouloir faire moi-même et tout vouloir contrôler, ce qui n’est pas toujours une bonne chose ! Dans la fiction, c’est impossible de tout faire seul. Pour le Mafatais, j’ai quand même réussi à faire le scénario, la mise en scène, la direction d’acteur, le montage et l’étalonnage… Je n’ai pas fait le son !
Vos deux univers, celui de l’animation et celui de la fiction, sont totalement opposés, pourquoi ?
Ce sont peut-être deux aspects de ma personnalité. Dans les animations, je suis un peu l’ado révolté et qui en passe par l’absurde pour exprimer ça. Et pour la fiction, c’est plus quelque chose de l’ordre de la poésie.
Comment vous est venue l’histoire de votre premier long métrage, « Le Mafatais » ?
Un jour je me suis demandé : comment faire de la fiction à La Réunion en utilisant les matériaux sociologiques, géographiques et humains de cette île. Mon désir premier était de réaliser un mythe réunionnais. Je me suis donc déjà demandé qu’est ce qui pouvait être mythique ici. Je me suis arrêté sur Mafate. Dans mon esprit, le personnage est emblématique de la pensée réunionnaise : un homme qui s’est affranchi et qui fait l’expérience de la liberté. J’ai fait ma soupe avec ma culture européenne et voilà j’ai créé « Le Mafatais ».
Pourquoi avoir choisi de faire votre carrière à La Réunion ?
Je suis arrivée après mes études et j’y suis resté parce que je me suis toujours dit que dès que j’en aurais l’opportunité, je partirais sur une île. Peut-être pour échapper au Monde parce qu’il me faisait très peur. J’étais déjà complètement parano, je ne pouvais envisager de fonder une famille que loin de cette folie.
N’est-ce pas handicapant de vivre à La Réunion et de travailler dans le cinéma ?
C’est vrai que si j’avais voulu faire une grande carrière, il aurait mieux fallu que je sois à Paris. Mais je ne suis pas un ambitieux, à vrai dire, j’en ai rien à faire ! Moi je veux vivre tranquillement et si j’ai l’opportunité de faire ce que j’aime, alors c’est parfait.
Quel regard portez-vous sur le cinéma réunionnais et son évolution depuis votre arrivée en 2002 ?
Quand je suis arrivé, il n’y avait pas vraiment de cinéma. Je l’ai vu éclore et c’est extraordinaire. Je pense qu’en tant qu’enseignant à l’ILOI, j’ai participé à cet essor. Quant à sa spécificité, c’est une équation compliquée car on vit dans une culture mondialisée, or à faire du cinéma ancré dans un territoire, il est parfois difficile de trouver le public. Et puis faire du cinéma de territoire sans tomber dans le folklorique, ni l’identitaire c’est compliqué aussi.
Qu’est ce que vous préparez en ce moment ?
Je suis reparti sur un projet de long métrage, tourné à La Réunion, à Cilaos cette fois-ci. C’est une enquête canonique menée par un prêtre qui appartient à la congrégation pour la doctrine de la foi, un département du Vatican. Ce dernier est envoyé à La Réunion pour enquêter sur une petite fille à Cilaos, protégée par une vingtaine de dévots, elle prétend réaliser des miracles. En gros, ce prêtre est engagé pour déconstruire ce mythe. Il sera confronté à quelque chose qui fera vaciller sa foi.