lundi, avril 29, 2024
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« Le vrai cinéma africain est encore à naître »

Scénariste réalisateur, monteur, infographiste et aussi artiste plasticien. Doctorant en Arts, Lettres et Sciences Humaines de la faculté de Yaoundé où il enseigne, Yadia Mor-Jougan porte un regard tranchant sur le cinéma africain et notamment sur son financement. Si l’économie l’anime, Yadia Mor-Jougan reste avant tout un artiste et d’ailleurs, lorsqu’il parle de son film, « La Marche », c’est un peu comme s’il nous expliquait un tableau et ses représentations. « Un élan de coeur ». Voilà comment Yadia Mor-Jougan décrit son film. Dans ce court-métrage, le réalisateur évoque un sujet douloureux qui lui est propre : la perte de ses parents.

Propos recueillis par Laurène Mazier

Comment avez-vous commencé à faire du cinéma ?
Plus jeune, je faisais beaucoup de bande-dessinées puis, j’ai écris des poèmes et ensuite, je me suis retrouvé à faire de la peinture. Lycéen, je faisais pas mal d’abstrait et j’étais toujours en train d’expliquer ce que je traduisais dans mes créations. Parallèlement, je regardais beaucoup de films et j’en suis venu à me demander : pourquoi ne pas transposer mes créations dans le cinéma ? Je trouvais que c’était une forme d’art beaucoup plus complète. Et puis, à travers le cinéma on peut aussi réaliser des tableaux. C’est ce que je voyais quand je regardais des Westerns d’ailleurs. Voilà pourquoi j’ai décidé de suivre des études dans le cinéma à Yaoundé (Cameroun) en 2009.

Pourriez-vous nous parler de votre cinéma ?
Je dis très souvent que dans mes films, je ne raconte pas une histoire, mais je fais passer des idées, mes préoccupations, des questionnements. En réalité, je fais des films parce qu’il y a des choses qui me tourmentent et je tente de poser la question au public : voyez-vous les choses telles que moi je les vois ? Et pour cela, je travaille beaucoup sur l’esthétique car selon moi, c’est ce qui permet de décrire l’incompréhensible, de mettre en évidence l’immatériel. Or l’immatériel, les émotions, les sentiments … On ne les comprends pas toujours. Il n’y a que l’esthétique pour faire ressortir cela. Elle permet aux uns et aux autres de ressentir ce que vous, vous ressentez. Souvent, je me dis que la structuration d’une histoire importe peu. Ce qui importe en revanche, c’est la sincérité. La manière exacte avec laquelle je ressens les choses. Et parfois, je ressens les choses sans les comprendre… C’est comme cela que je fais du cinéma.

Quel est le fil rouge reliant les cinq court-métrages que vous avez réalisé jusqu’à présent ?
Tous mes films tournent autour d’une question. Je réalise des films sur des choses que je ne comprends pas très bien. Je questionne énormément Dieu, la Nature, la Providence, je questionne même la philosophie de cet être suprême. Je parle aussi beaucoup du destin car c’est une chose qui nous tourmente et face à laquelle nous sommes tous impuissants.

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Enseignant et cinéaste, Yadia Mor-Jougan fait du cinéma un peu comme il réalise des tableaux, tout passe par l’esthétisme et les émotions.
 

Qu’avez-vous souhaitez raconter à travers  « La Marche » ? 
« La Marche », c’est l’histoire d’un gamin de 10 ans qui est à la recherche de sa propre personnalité. Il essaie de comprendre qui il est, il tente de se redéfinir dans un monde qui est truffé de pièges et dénué d’humanisme. C’est une quête d’un petit bout de ciel. Talom erre dans les rues de Yaoundé, en se disant qu’un jour il pourrait trouver une clé en or. Voilà pour l’histoire. Derrière cela, j’ai souhaité mettre en relief la relation ambiguë entre le monde matériel et le monde immatériel.

Pourquoi avoir choisi le sujet de l’enfance orpheline et solitaire ? 
Je le dis toujours : je crée à partir des réalités qui se trouvent autour de moi et telles que je les ressens, telles que je les ai vécu, également. Cette histoire, est une histoire honnête. J’ai connu cette vie. Mon père est mort très tôt, j’avais 4 ans. Par la suite, ma mère, qui s’est pliée en quatre pour que je puisse aller à l’école, est morte à son tour. Je sais ce que c’est que de vivre dans la solitude et le silence, dans un monde de concurrence… Pour autant, ce film n’est pas dédié uniquement aux enfants seuls, je parle aussi à ces hommes et ces femmes solitaires. 

Les adultes en prennent pour leur grade, pourquoi ? 
Je pense que si notre monde va mal, c’est parce que les adultes ont refusé de prendre leurs responsabilités. Ils ont refusé de vivre dans la convivialité. Un enfant, lui, il est innocent, il n’est habité par aucune ambition. Or, c’est lorsque l’on a des ambitions que l’on commence à nuire à autrui. C’est cela que j’ai voulu traduire dans « La Marche » à travers l’attitude des adultes.

C’est un film plutôt pessimiste… 
Je ne pense pas que « La Marche » soit un film pessimiste. C’est vrai que cette remarque m’est revenue souvent… On me demande souvent où se trouve l’espoir dans cette histoire ? À cela, je réponds : ça dépend ce que l’on entend par « espoir », par « bonheur ». Est-ce que vous trouvez toujours que de votre point de vue, la mort est un malheur ? J’ai vu des gens grandir dans la souffrance, dans des conditions peu recommandables et qui sont morts dans ces mêmes conditions… dans ce cas, la mort n’est-elle pas une délivrance vers autre chose ?
Pourquoi, on voudrait vous faire croire que lorsque vous écrivez une histoire, il faudrait toujours que le protagoniste ait gain de cause… Or, mon personnage, lui, peut avoir gain de cause mais peut-être pas selon nos attentes. Pour moi, dans ce film, le garçon a trouvé une voie de libération, à travers la mort. Ce n’est qu’une étape, ce n’est pas parce que nous ne connaissons que ce monde, que nous devons penser qu’après la mort, la vie s’arrête.

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Voir « La Marche » de Yadia Mor-Jougan sur OI>Film

 

Quel regard portez-vous sur les cinémas d’Afrique ? 
Sur le plan financier, le cinéma africain est un cinéma qui se cherche encore. Concernant le contenu, c’est un cinéma qui existe, bien évidemment même s’il est vrai qu’il est plus ou moins influencé par ceux qui le financent. De mon point de vue, le cinéma africain est un cinéma de l’avenir qui regorge de ressources mais qui ne possède pas les moyens financiers, technologiques afin d’extérioriser cela. C’est un cinéma qui gagnerait à s’imposer sur les plateformes et les marchés internationaux. Or pour cela, il faut qu’il y ait une structuration à la base. Que ce soit au Cameroun, au Gabon, au Burkina Faso, au Mali ou au Sénégal… Il y a des cinémas qui ont porté l’Afrique mais on se rend compte que derrière, il y a un problème : l’individualisme. C’est le problème du cinéma Africain et ce, à tous les niveaux même les plus hauts. Pour moi, le vrai cinéma africain est encore à naître. La totalité des films issus du cinéma Africain jusqu’à aujourd’hui a été financée par les Occidentaux.

Qu’en est-il du cinéma au Cameroun plus particulièrement ?
Il y a un vrai manque de financement en particulier au niveau de la créa. L’État intervient très peu : à hauteur d’un millions de francs par projet, lorsqu’il décide de financer. Or, les jeunes aujourd’hui, ont compris qu’il ne faut plus attendre. Ni des Occidentaux, ni de l’État. Encore moins de la Francophonie. Il faut le dire objectivement : il y a un sérieux problème de financement. Je ne pense pas que ce soit due à la qualité des projets des Camerounais, mais plus à la crédibilité des plans de financements. Je comprends tout à fait pourquoi les organismes sont des plus en plus réticents à donner de l’argents aux réalisateurs camerounais, c’est parce qu’ils n’ont pas toujours des comportements convenables. Sauf que là où certains ont échoué, d’autres peuvent faire la différence. Et aux vues du nombre de séries et de court-métrages tournés chaque année au Cameroun, on ne peut nier l’effort d’auto-financement que la nouvelle génération est prête à faire !

 

Bio 

Yadia Mor-Jougan a étudié l’histoire et l’économie du cinéma à l’université de Yaoundé. Aujourd’hui, il est doctorant en économie du cinéma et moniteur dans la section des Arts du spectacle et cinématographie à l’Université de Yaoundé ainsi qu’à l’Université de Bamenda au Cameroun. Exerçant des fonctions de consultant dans plusieurs structures locales, il dispose d’une expérience professionnelle en réalisation et en écriture de scénario, infographie et montage de films. Il a à son actif plus de 7 courts- métrages : “Réaction” 20′ 2010, “La Noèse” 8′ 2011, “Entre Chair et âme” 3′ 2013, “La Marche” 29′ 2018, “Marbah: le retour malgré soi” 26′ 2015, “Les poules » 4′ 2018. 

 

Laurène MAZIER
Laurène MAZIER
Rédactrice polyvalente et expérimentée
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