Pour sa reprise, la plateforme VOD OI>Film, vous propose le court-métrage “Allée-Cocos”, ou la première expérience du court métrage de fiction d’Elsa Dahmani. Après des réalisations orientées vers la musique et les documentaires, la réalisatrice et directrice de l’association “Cinékour” à La Réunion, revient sur son film qui rend hommage à la société matriarcale réunionnaise.
Grand-mèr kal, parcours initiatique entre l’adolescence et l’âge adulte, casting sauvage… Entretien avec Elsa Dahmani.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Je suis Elsa Dahmani, je suis réalisatrice et directrice de l’association “Cinékour” à La Réunion. Je suis d’origine réunionnaise et j’ai grandi en région parisienne, élevée par une grand-mère originaire de la Réunion. J’ai commencé à travailler à Paris comme réalisatrice de documentaires. En 2009, je suis revenue à La Réunion pour travailler sur le Sakifo et c’est comme ça que j’ai redécouvert tout un pan de cultures par les artistes et les musiciens avec qui j’ai noué des liens très forts. C’est finalement par la musique que je reviens à La Réunion. Mais depuis quelques années, je suis très attirée par la fiction. Il faut savoir que j’ai grandi dans une famille d’artistes documentaires et de réalisateurs et je suis un peu tombée dedans quand j’étais petite. Je cherchais à partir vers la fiction pour raconter des histoires qui sont plus proches de moi, qui me ressemblent. Au départ, je reste encore un peu dans la musique en réalisant le premier clip de Christine Salem qui n’avait jamais fait de clip dans sa carrière. Mais très vite, j’écris un court métrage, Allée-Cocos, pour lequel on trouve rapidement du financement parce que je participe à Paris à un dispositif tremplin qui s’appelle “talents en court”, du Comedy club. Je m’aperçois à ce moment-là qu’il y a beaucoup de curiosité vers La Réunion.
Pour venir vers la fiction, ça a été un chemin d’autodidacte, car je n’ai pas fait d’école de cinéma. Il a fallu trouver un équilibre entre l’instinct, c’est-à-dire les choses que j’avais pu observer en étant sur le terrain, et puis les techniques qui sont la colonne vertébrale impérative quand on veut faire du cinéma. C’était un peu douloureux et long mais “Allée-Cocos” est le fruit de tout ce chemin.
De quoi parle votre film ?
Grand-mèr kal c’est l’excuse car le vrai sujet de ce film, en tout cas la version de grand-mèr kal que j’ai choisi d’aborder (car il y a plusieurs versions), c’est la version qui est imprégnée par le rapport à l’autre, à la vie intérieure intime et le rapport entre l’intime et le social. Dans “Allée-Cocos” il y a ça. C’est une jeune fille adolescente qui débarque à La Réunion car elle a suivi son père. Elle n’est pas encore maître de son destin et elle est un peu ballottée avec les adultes par rapport à la vie de ses parents. Elle arrive et elle porte un stéréotype. Elle est coincée entre deux mondes car elle n’a pas voulu partir de chez elle et puis sa mère est malade. Elle porte une souffrance et elle arrive sans aucun a priori ni connaissances. Elle est complètement neutre et elle n’est que cette boule d’émotions prête à tout imprégner : une véritable éponge. Elle est très imprégnée par l’énergie de la nature autour d’elle, du décor dans lequel elle va se retrouver chaque jour en allant au collège… Il y a cet autel Saint-Expédit au croisement, et au collège elle va entendre cette histoire de grand-mèr kal, dans cette fameuse allée-cocos. Tout l’enjeu va être pour elle d’affronter ses peurs et d’aller voir ce qu’il y a derrière l’allée-cocos. Elle va la mêler à sa vie intime en construisant une croyance car c’est une allée très chargée énergétiquement. Il y a tout ça qui relie cette jeune fille au reste du monde. Elle va aller au bout de cette allée-cocos et cette allée, pour moi, c’est le symbole de tout un parcours initiatique. Il y a cette jeune fille qui est entre l’enfance et l’âge adulte, et puis ce parcours qu’elle va devoir affronter pour se trouver. Elle va aller au-delà des croyances et des stéréotypes puisqu’elle découvre une vérité sous le nez de tous, mais que personne ne savait. Elle va trouver le secret d’une famille qui n’est pas la sienne, et cela va libérer quelque chose en elle.
Le scénario est porté par de jeunes acteurs. Comment s’est passé le casting pour pouvoir trouver ces nouveaux talents ?
J’avais envie de rencontrer des personnes qui m’inspirent, avec lesquelles j’avais envie de travailler. J’ai fait un casting « sauvage », dans un premier temps dans un collège de Saint-Louis. J’ai rencontré vraiment beaucoup de jeunes talents avec un charisme, des jeunes que j’avais envie de filmer. Ensuite il y a eu un casting plus défini pour trouver les personnages principaux. Ça a été un travail que je voulais faire dans le temps car je voulais que ce soit juste. On a vraiment fait les choses en plusieurs fois. On a fait un grand stage avec une coach qui a l’habitude de travailler avec les enfants car moi c’était vraiment la première fois avec des comédiens. C’était un grand plongeon pour moi avec cette coach venue en renfort. Il y avait plusieurs Léa potentielles etc… En travaillant autour du projet, ils n’ont jamais vu le scénario. On a travaillé les scènes en mettant un peu d’improvisation et finalement à la fin, les rôles étaient répartis et tout le monde était d’accord, même les jeunes entre eux.
On peut voir une mention “à nos grands-mères” à la fin du court-métrage. À quoi cela fait-il référence ?
La société réunionnaise est très matriarcale. Ce sont des femmes fortes qui élèvent des familles et parfois ce sont les grandes sœurs qui élèvent les enfants plus jeunes. La femme a une présence très forte à La Réunion. Je pense que grand-mèr kal est aussi “la” grand-mère des Réunionnais. Elle a plusieurs visages car il y a plusieurs versions mais moi c’est comme ça que je l’ai pris. C’est un symbole, c’est un hommage à ses femmes qui sont nos ancêtres, nos aïeules, qui ont bâti la Réunion, nos familles, La Réunion intime… Et évidemment, il y a ma grand-mère. Au départ je pensais tourner dans la maison qui l’a vu naître et qui est encore debout malgré les cyclones. Mon premier film, c’est un peu un hommage à ce qu’elle m’a transmis malgré les 10 000 kilomètres, la langue, la culture… Elle m’a transmis une chose très forte de la culture réunionnaise qui a perduré et qui passe à travers le son, la musique, la cuisine. Un héritage immatériel. Pour moi, ce film est un hommage à tout cela.