À Madagascar, la production de films (courts métrages, longs métrages, films d’animations) est en pleine croissance depuis plusieurs années. Des films qui s’insèrent dans une économie cinématographique particulière sur la Grande Île ; à l’heure où les salles de cinéma peinent à revoir le jour depuis leur disparition à la fin des années 90. Comment ces films malagasy, qui permettent un rayonnement du cinéma de l’Océan Indien à l’international, sont-ils réalisés et distribués ? Tour d’horizon du cinéma malgache.
Le cinéma de fiction et de documentaire à Madagascar possède une longue histoire qui lui permet de continuer à créer aujourd’hui, en se basant sur les techniques des films malgaches sélectionnés au festival de Cannes ou encore à la Mostra de Venise, à l’instar des cinéastes des années 60 comme Benoît Ramampy ou encore Raymond Rajaonarivelo.
Histoire du cinéma malgache
Si Madagascar est un territoire de cinéma, le premier film de la zone a été réalisé à Madagascar en 1937 “par un missionnaire qui avait été commandité. Des gens ont filmé Madagascar. Même avant 1937, il y avait déjà des images car les missionnaires Français et Anglais envoyaient des photographes et des opérateurs “lumière” pour aller explorer certaines contrées de Madagascar et voir s’ils pouvaient les coloniser étant donné que c’est un pays continent” explique Mohamed Saïd Ouma, auteur réalisateur d’origine comorienne et malgache. Il faut noter que la plus ancienne réalisation entièrement produite à Madagascar et faite par un Malgache est le film “Rasalama Maritiora” (ce qui signifie Rasalama, le martyr) de Philippe Raberojo. Réalisé en 1937, le film en noir et blanc parle, pendant 22 minutes, de la colonisation à Madagascar. Un docu-fiction réalisé pour le centenaire du martyr de Rasalama.
Contrairement aux autres îles de l’Océan Indien, Madagascar possède ainsi un rapport à l’image très ancien. Un cinéma à mettre “en corrélation avec le cinéma d’Afrique francophone ; des pays comme le Sénégal, l’Algérie, le Mali… Parce que c’est à la sortie des indépendances (Madagascar au moment des indépendances devient République socialiste) que les cinéastes malgaches partent se former à Moscou, dans la grande école de cinéma russe, comme on envoyait des cinéastes maliens, sénégalais, algériens, cubains ou communistes français se former là-bas. Dans les années 60-70 c’est la guerre des images entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest. Madagascar a fait parti de ça” renchérit Mohamed Saïd Ouma.
“Puis arrive les années 80 où les politiques d’ajustement structurelles du FMI [Fonds Monétaire International] demandent aux États, dont Madagascar, d’abandonner des pans entiers de leurs économies (dont le secteur culturel) et de se focaliser sur des secteurs d’activités qui vont être plus rentables” déclare le réalisateur de “Magid le magicien”. Avant d’ajouter que “les aides de l’État, les bourses pour envoyer les cinéastes se former… Tout ça s’arrête, les salles de cinémas ferment. Les années 80 et 90, on est dans un désert alors que ça avait très bien commencé depuis les indépendances.” En effet, l’île rouge comptait une centaine de salles dont une dizaine à Tananarive. “Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’une nouvelle génération de jeunes malgaches, qui ont fait des formations à l’étranger, qui ont voyagé et qui sont de la diaspora, qui sont rentrés, ont monté des festivals, font des films, partent dans les écoles de cinéma comme l’ESAV au Maroc” poursuit celui qui est aussi directeur de festival et directeur d’un fond pour le cinéma documentaire sur le continent africain. Une histoire du cinéma à Madagascar qui a des hauts et des bas.
À noter qu’en décembre 2017, une salle de cinéma a ouvert à Antananarivo. Une ouverture qui était très attendue puisque depuis la fermeture de toutes les salles fin 1990, ces dernières ont été transformées en centres commerciaux ou louées et transformées en lieux de cultes. Une salle qui se base sur le principe des multiplexes. Une structure à l’Américaine qui attire l’oeil par son éclairage, ses portes battantes façon “saloon” dans les Western… Si le cinéma “Le plaza” de Andry Raobelina compte une unique salle, elle peut accueillir jusqu’à 800 cinéphiles en son sein. Des projections de “blockbusters” américains allant de 10 000 à 30 000 ariarys la place (soit allant de 2,50 € à 7,50 €) selon la séance (en 3D, films récemment sortis en salle ou plus anciens). Un loisir que seule une partie de la population peut s’offrir. À terme, l’objectif du “Plaza” sera de projeter également des films malgaches.
En parallèle, le développement des films “Gasy”
Véritable phénomène de société, les films “Gasy” sont un courant populaire qui laisse place à l’action, au drame et à la comédie dans les scénarios. Avec des budgets quasi-inexistants, des moyens limités, des histoires écrites en quelques lignes et des comédiens réputés pour leur talent d’improvisation… Chaque année, des milliers de DVD s’écoulent dans les rues de la Grande Île. Une économie à part entière.
“Il y a à peine 5 ans, on comptait environ 10 sorties de films Gasy par mois. Maintenant, on est dans les 3 à 4 sorties tous les mois, mais la qualité des films a significativement augmentée”, déclare Franco Clerc, réalisateur dans le cinéma indépendant malgache.
Des films qui ne sortent pas tous au cinéma selon ce dernier qui explique que la plupart de ces films suivent un modèle très particulier puisqu’ils “sortent directement en DVD et sont vendus dans les rues par des commerciaux.” S’il faut compter 1 euro pour un film vendu dans la rue, on ne dénombre pas moins de 50 000 DVD par film vendus chaque année.
Si les films de ce nouveau phénomène “Gasy” sortent de plus en plus, cela est dû au fait que “les films populaires se produisent en un temps record, par manque de budget. Très souvent, c’est entre une et deux semaines de tournage et une semaine de montage max. Tournés avec très peu de matériel (juste un caméscope, sans lumière, sans prise de son), il n’y a pas réellement de travail préparatoire. Les lignes des scènes sont écrites mais ensuite les acteurs improvisent beaucoup leurs textes” explique Tafitaniaina Rakotonomenjahary, le réalisateur de “Fandripahana, le massacre.”
Bande annonce “Fandripahana, le massacre”
Un film gasy s’inspire largement des blockbusters américains des années 1980. “Souvent c’est de l’action pure, avec beaucoup de gestuelles et sans vraiment creuser le fond ni le propos. En général, ce sont des histoires qui se veulent familiales et divertissantes” poursuit-il.
Le cinéma d’animation à Madagascar, une filière autodidacte
Entre les films “Gasy” et ceux produits avec un peu plus de moyens… Qu’en est-il du cinéma d’animation à Madagascar ? Le cinéma d’animation malgache n’est pas encore très reconnu dans le monde selon Sitraka Randriamahaly, auteur et réalisateur de films d’animation. Si l’on “assiste à la naissance d’associations et des organismes,” pour le réalisateur c’est plutôt une histoire de débrouille concernant ce secteur ; étant donné qu’il n’existe pas d’écoles d’art ou de cinéma. Avec des professionnels autodidactes et des budgets presque inexistants, les styles sont variés et chacun trouve “sa propre voie.” Une filière qui participe à la renaissance du cinéma malagasy.
Pour le réalisateur du film “Hazalambo, la chasse au lambo”, “on a plus ou moins tous tâtonné le métier de l’animation avec les moyens du bord, les ressources à notre disposition et les budgets quasi-inexistants. De ce fait, chaque animateur a trouvé sa propre voie : animation traditionnelle, numérique, 3D, stop motion… Aboutissant à des styles bien variés. Concernant les influences, la plupart d’entre nous a été bercé par des mangas et les Disney, Pixar (selon la génération). J’ai toujours senti que vis à vis des animateurs Malagasy ces références sont un peu les objectifs à atteindre techniquement” conclut-il.
Les films malagasy reconnus au-delà de l’Océan Indien
Pour Laurent Pantaléon, réalisateur réunionnais, “grâce au cinéma malagasy, les cinéphiles savent qu’il y a un cinéma de qualité dans l’Océan Indien. Je tente d’atteindre le niveau des cinéastes malagasy… Mais il y a encore du chemin.” En effet, de nombreux films malgaches ont été primés en festivals.
Ces dernières années, on peut citer “Hazalambo, la chasse au lambo” de Sitraka Randriamahaly. Ce dernier a reçu le Zébu d’Or (prix du public) aux “Rencontres du Film Court” de Madagascar en 2011. On pense également à “Mahaleo” de Cesar Paes et Raymond Rajaonarivelo qui a reçu le prix du meilleur documentaire au festival “Regards sur le cinéma du Sud” à Rouen en 2006 mais aussi le prix du public et la deuxième place au “Festival du film insulaire” de Groix en 2005.
Sans oublier le film documentaire “Ady Gasy” de Lova Nantenaina qui a reçu de nombreuses récompenses : prix “Fétnèt Océan Indien” au Festival International du Film d’Afrique et des Îles (FIFAI) à La Réunion, Grand prix “Eden documentaire” au festival « Lumières d’Afrique” de Besançon, Mention spéciale du Jury documentaire au “Festival Quintessence” au Bénin.
À noter que “Fandripahana, le massacre”, “Hazalambo, la chasse au lambo”, “Mahaleo” et “Ady Gasy” sont disponibles sur OI>FILM. Autres réalisations de la Grande Île à voir sur notre plateforme VOD : “Conter les feuilles” de Eva Lova et Nantenaina Lova, “Le fils de Samy” de Franco Clerc, “Coups de hache pour une pirogue” de Gilde Razafitsihadinoina, “Rendala, le mikéa” d’Alain Rakotoarisoa, “Wrong connection” de Ando Raminoson et Colin Dupré…
“La jeune fille et le ballon ovale” du réalisateur français Christophe Vindis est également à voir. Le réalisateur nous raconte l’histoire de Marcelia, une jeune malgache de 16 ans et maman d’un enfant de 3 ans. Le jour où un ballon ovale arrive dans son village, sa vie va définitivement changer. Nommée capitaine de la première sélection féminine de rugby à 7 de la Côte Saphir, c’est un premier pas vers la reconnaissance.
Des films d’animations malgaches sont également disponibles sur la plateforme comme “Déjeuner du matin”, “The Bee” et “Colors” de Cid, jeune réalisateur malgache.
Bande annonce du film malgache “Ady Gasy”
Produire et diffuser son film à Madagascar
Des maisons de production se sont démarquées depuis une décennie. “Le mouvement a été lancé dans les années 2 000 par “Avoko Production”. Avoko étant un maître de kung-fu, héritier d’un maître malgache légendaire, Pierre Be, qui a commencé à produire des films d’action à la Jet-Li” explique Franco Clerc avant d’ajouter “qu’ont suivi quelques maisons de prods qui n’ont pas duré. Les plus marquants étaient et sont toujours « Scoop digital » qui ont produit une saga familiale à succès (12 volets), “Malok’ila« . Aujourd’hui, il existe également “Maki prod”, “Mada Movie”, “Lumahee”, “Endemika Films” venues s’ajouter aux boîtes de productions malgaches.
Une fois les films réalisés, les malgaches peuvent, en plus des festivals à l’international, compter sur les “Rencontres du Film Court”, le seul festival de l’île. Créé par le réalisateur malgache Laza en 2006, le festival “Rencontres du Film Court”, est organisé par l’Institut Français de Madagascar (IFM), l’association Rencontres du Film Court (RFC) et la boîte de production “Rozifilms.”
Des associations malgaches pour rendre le cinéma accessible
S’il n’existe pas d’écoles d’art ou de cinéma à Madagascar, les cinéastes peuvent compter sur des associations comme “Animanakay”, créée par Sitraka Randriamahaly et d’autres animateurs locaux ; mais aussi l’association “Asa Sary” qui a pour vocation de promouvoir la culture par le cinéma à Madagascar. Créée en 2012, cette dernière organise des sessions de formations et de l’éducation à l’image.
L’association “Asa Sary” est également co-organisatrice du projet “REC Madagascar.” Ce projet, mis en place également par l’association “AriArt Madagascar” est une résidence d’écriture cinématographique ouverte à tous les cinéastes ; qu’ils soient orientés vers la fiction, le documentaire, les courts ou les longs métrages.
Deux résidences d’écriture communes entre les auteurs réalisateurs de documentaire de création de la zone Océan Indien a également lieu chaque année. Appelée “résidence DOC OI”, ces ateliers d’écriture sont menés par Mohamed Saïd Ouma et Alain Dufau, réalisateur du film “Au-delà de Cap Noir.” Une initiative de l’association “DocMonde” et de l’Agence Film Réunion. Organisée par “DocMonde” jusqu’en 2017, la “résidence DOC OI” est désormais organisée par la Fédération Cinéma Océan Indien.
À noter que depuis 2017, 4 associations venant de Madagascar, La Réunion, Maurice et les Comores se sont regroupées pour former la Fédération Cinéma Océan Indien. Ces associations (“Asa Sary”, “Les cinéastes de La Réunion”, “Porteurs d’Images” à Maurice et “CIFF” aux Comores) ont pour objectif de relayer et dynamiser les actions de défense et de promotion de la condition de la création cinématographique et audiovisuelle dans l’Océan Indien.
L’association “Hetsika” propose quant à elle des soirées de projections de courts-métrages malgaches au public Nantais lors de son événement annuel “Mada TouT court.” Créé en partenariat avec “Rencontres du Film Court” à Madagascar et le cinéma d’art et essai “Katorza” à Nantes, “Mada TouT Court” a pour objectif de promouvoir les jeunes cinéastes émergents en leur donnant une visibilité à Nantes. À la fin des projections, le public attribue le prix de l’Éléphant (d’une valeur de 150 euros) au meilleur réalisateur de fiction, de documentaire ou d’animation malgache.
Le cinéma, qui n’est pas un art naissant à Madagascar, ne cesse de se développer. Festival unique, résidences d’écriture locale et commune dans la zone Océan Indien, associations, cinéastes autodidactes, films gasy aux moyens quasi-inexistants… Un cinéma visible à l’international et sur notre plateforme OI>FILM.