Réalisateur et producteur depuis une trentaine d’années chez Lithops Films, Fred Eyriey aime le cinéma. Documentaires, long-métrages, téléfilms, court-métrages… Installé à La Réunion, il orchestre sa carrière entre Paris, l’incontournable et les pays de l’océan Indien où il dédie son savoir-faire.
Catherine Deneuve à La Réunion ? C’est grâce à lui !
Récemment Fred Eyriey, en producteur exécutif, a co-organisé le tournage de « Terrible jungle » d’Hugo Benamozig et David Caviglioli. Ce film, dont l’histoire se déroule en Guyane, a pourtant été entièrement tourné dans notre département. Au casting, Vincent Deudienne et Catherine Deneuve qui n’avait pas remis les pieds sur l’île depuis 50 ans ! Chapeau.
OI>Film : Vous étiez producteur exécutif sur « Terrible Jungle », une comédie avec Catherine Deneuve. L’histoire de ce film se déroule en Guyanne, pourquoi l’avoir entièrement tourné à La Réunion ?
Fred Eyriey : Parce que j’ai fait le forcing pour que ça se fasse ici, j’ai beaucoup vendu la Réunion à la production parisienne, un peu comme un VRP ! Ça fait plus de deux ans que je suis sur ce projet et à chaque fois que j’ai vu le producteur, je lui ai assuré que l’on pouvait tourner La Guyane à La Réunion. J’avoue que parfois, j’ai un peu exagéré le trait, par exemple pour les fleuves. Il n’y en a pas ici… mais on a trouvé l’embouchure de l’Étang-Saint-Paul qui, pour le coup, ressemble à un fleuve guyanais. Il est vrai que l’on a tourné un peu dans tous les sens. Pour les forêts, même si les botannistes vont chipoter, le grand public européen lambda ne verra pas la différence. On reste dans une jungle. D’ailleurs c’est drôle car ici on appelle ça la forêt et les Parisiens appellent nos forêts, la jungle … On a tourné essentiellement dans l’Est mais aussi un peu dans la forêt de Mare Longue à Saint-Philippe. Il nous fallait une forêt tropicale dense.
OI>Film : Quel a été l’argument qui a fait mouche auprès de la production à Paris ?
Fred Eyriey : Il y en a plusieurs. D’abord, nous sommes en territoire français donc sécurisant que ce soit sanitairement, on n’a pas les risques d’une forêt amazonienne et il y a des hôpitaux. Ensuite, il n’y a pas de problème de monnaie puisqu’on est en France et mine de rien, c’est important. Et puis, il y a la proximité des lieux de tournage, avec les hôtels et seulement quelques kilomètres qui séparent les différents décors. En Guyane, c’est plus compliqué. De plus, La Réunion possède une base de techniciens importante. Si la prod avait choisi la Guyane, il aurait fallu faire venir tout le monde de l’hexagone. À La Réunion, c’était pratiquement du 50/50. Autre argument, on a à La Réunion un métissage de populations qui ressemble beaucoup aux peuples d’Amazonie, notamment dans la communauté des Malgaches originaires des Hauts Plateaux de Madagascar. Et pour finir, Catherine Deneuve a un certain âge et ne souhaitait pas aller dans un pays compliqué.
OI>Film : Justement, tourner avec Catherine Deneuve ce n’est pas rien ! Comment est-elle ?
Fred Eyriey : Je l’ai beaucoup apprécié. C’est une femme très curieuse. On parlait beaucoup de botanique, de fruits, de légumes locaux, elle aime beaucoup chiner. Après c’est un mythe ! Et je pense que l’actrice est à la hauteur de son mythe. Au début, elle a gardé une distance. C’est pas quelqu’un qu’on tutoie, elle connaît évidemment par cœur les tournages donc elle attend de voir où elle se trouve. La première semaine a été une semaine d’observation, elle s’est ensuite apperçue que les gens à La Réunion sont bienveillants. Et donc, elle s’est très vite mêlée à l’équipe, elle venait à la cantine, elle parlait avec tout le monde, tout en conservant cette réserve mais en restant accessible. Ce n’est pas du tout une diva. C’est une femme bien, tout simplement.
Fred Eyriey, produit en ce moment, le second long-métrage de David Constantin qui s’appellera « Regarder les étoiles », tournage prévue à la mi-2020 à l’île Maurice.
OI>Film : Qu’est-ce que cela fait de tourner avec un mythe du cinéma ?
Fred Eyrier : Au départ, j’étais impressionné ! Elle fait partie des actrices qui m’ont passionné pour le cinéma alors, à mon avis quand je me suis présenté, je devais avoir l’air d’avoir 15 ans !
OI>Film : Qu’elle est aujourd’hui votre principale casquette dans le cinéma ?
Fred Eyriey : Je fais essentiellement de la production. En effet, j’ai mis la réalisation de côté depuis mon dernier film « Ilha Sorrow » en 2012. Pour une raison très simple : je suis en train de le remonter en long métrage. En effet, c’est un moyen de 42 minutes et je pense qu’il y a quelques chose à faire en long. Nous avons de la matière inutilisée.
OI>Film : On a envie d’en savoir un peu plus forcément, un petit mot sur « Ilha Sorrow », tel qu’il a été réalisé en 2012 et l’ambition de ce que vous souhaitez en faire ?
Fred Eyriey : C’est un peu dur d’en parler, car ce film est en réalité une blessure. C’est aussi pour ça que j’ai mis de côté la réalisation en me disant que je serais finalement peut-être meilleur producteur que réalisateur. C’est un film où j’avais mis beaucoup de moi, jusque là j’avais fait des comédies (voir By Night) et ce qu’il y a de bien avec les comédies, c’est que ce sont un peu des paravents, une manière de se protéger derrière la blague. Avec « Ilha Sorrow », j’ai eu envie de faire un film plutôt dramatique en mettant beaucoup de moi dans l’histoire et les personnages. Je pense que je me suis planté.
OI>Film : Que raconte « Ilha Sorrow » ?
Fred Eyriey : C’est l’histoire très simple d’un homme qui travaille dans l’humanitaire et qui revient dans une île qu’il a connu auparavant. Il y a beaucoup de souvenirs dans cette île où il a quitté une femme qu’il a beaucoup aimé. Celle-ci travaille toujours là-bas. Elle a un compagnon et leurs retrouvailles vont être compliquées. Il y a les souvenirs, l’amour qui n’a pas abouti et la manière de vouloir aider l’Afrique un peu différente. C’est aussi une réflexion que j’avais sur l’aide internationale. Cet homme va surtout découvrir qu’il a eu un enfant. J’espère que le film sera prêt en début d’année 2020.
OI>Film : En terme de production justement, vos références sont aussi nombreuses que variées (de la fiction indépendante, du documentaire, des téléfilms, des sitcoms). Quel est le fil rouge dans votre parcours ?
Fred Eyriey : C’est l’amour de la fiction et du cinéma.
OI>Film : Pouvez-vous nous raconter votre évolution dans ce milieu depuis La Réunion ?
Fred Eyriey : Pendant dix ans, de 1990 à 2000, j’ai produit des documentaires avec Jim Damour et cela m’a beaucoup nourri intellectuellement. On a voyagé dans le monde entier. J’ai beaucoup aimé cette période mais j’étais vraiment depuis enfant, passionné de cinéma. J’ai eu l’opportunité de faire la production executive d’un téléfilm début 2000 et c’est là que j’ai réalisé qu’à La Réunion il y avait une grosse envie de Cinéma mais qu’il fallait d’abord que l’on se forme. On improvise pas dans la fiction lourde, on organise pas un tournage de 50 personnes comme ça tout seul. Donc à cette époque, pour moi, l’idée c’était d’apprendre. Or le téléfilm est très formateur dans la production, c’est une très bonne école assez exigente car on a moins de temps que pour le cinéma et il faut donc être efficace. Il faut du temps pour apprendre, c’est pas simple de comprendre les rouages à la fois de la mécanique d’un tournage mais aussi le côté financier, l’humain, l’artistique, la technique, etc. C’est pour cette raison que j’ai alterné téléfilms et long-métrages qui pour moi étaient toujours la finalité : produire du cinéma. Ma logique a donc été de développer un savoir-faire pour pouvoir produire des films dans l’océan Indien et d’accompagner des réalisateurs et des réalisatrices qui ont des choses à dire.
OI>Film : Quel regard portez-vous sur le cinéma de l’océan Indien, possède-t-il des spécificités ?
Fred Eyriey : Ma première remarque est que le cinéma de l’océan Indien est balbutiant. Nous en sommes aux prémices. À part le film de David Constantin « Lonbraz Kann », il n’y a pas encore beaucoup d’exemples de long-métrages dans l’océan Indien. Il y a pas mal de court-métrages en revanche. J’ai du mal avec les spécificités car je ne souhaite pas enfermer le cinéma de l’océan Indien dans une thématique particulière, je préfère parler d’artistes de l’océan Indien qui ont un regard sur le monde. La culture doit ouvrir et donc un réalisateur peut faire un film sur n’importe quel sujet et n’importe où dans le monde, qu’il soit Mauricien, Réunionnais ou Malgache. Le but que je me suis donné, c’est d’accompagner les artistes de l’océan Indien.
OI>Film : un mot sur « By Night » que vous avez réalisé et qui est disponible à la VOD ?
Fred Eyriey : « By Night » est une réaction par rapport à un cinéma sérieux et dramatique, mais aussi une problématique culturelle. Dans les années 1990, début 2000, on parlait beaucoup de l’identité réunionnaise culturelle et j’avoue que parfois ça m’a gonflé un peu. Je trouvais que c’était quelque chose un peu enfermant. J’avais donc envie de légèreté. Je m’étais dis : des jeunes de 20 ans à La Réunion ne sont pas forcément dans des problématiques culturelles, mais plutôt dans l’envie de s’éclater, tout simplement. Et donc, By Night est né de ce constat qui était plus une récréation humoristique avec ces trois jeunes en goguette piquent la bagnole du père, font faire les couillons et donc voilà, c’était une blague un peu potache qui venait pour moi, au bon moment. Je l’aime bien ce film. Il n’a aucune prétention culturelle, il a été fait à l’énergie !
OI>Film : Puisque l’on parle d’énergie, il y a de belles énergies également dans votre autre film disponible sur la plateforme : « Qui peut espérer tutoyer les étoiles », un mot sur ce film qui est votre première réalisation ?
Fred Eyriey : Nous sommes en 1995 ! Ce film est né après la période de documentaire avec Jim Damour. On avait réalisé « Le Facteur de Mafate » pour l’émission Faut pas rêver sur France 3. J’ai découvert le cirque à ce moment là et je rêvais sur les sentiers de tourner une histoire. Et puis, j’avais très envie de travailler avec Baguet’ qui me paraissait être porteur à la fois de cette poésie et de folie. J’ai fait ce film sur une envie de comédie, de poésie et de découverte. C’est un film que je revendique et je l’aime beaucoup.
OI>Film : Pourriez-vous nous parler du métier de producteur qui reste un peu abstrait pour le grand public ?
Fred Eyriey : Il y a un cliché qui dit que le producteur, c’est Monsieur argent. Certes, c’est celui qui trouve les financements pour faire un film mais c’est réducteur. Pour moi, j’ai un rôle d’accompagnateur. Soit le producteur est à l’initiative, soit il est sollicité par un auteur et, à chaque fois, on doit avoir l’étincelle pour un projet, avoir envie qu’il existe un jour. Je crois que c’est ça mon métier : être curieux de projets, d’avoir envie de les accompagner à l’écriture, à développer et à accoucher du projet avec des hauts et des bas. C’est ça qui m’intéresse. Il y a évidemment la partie financière, avec le montage de dossiers, trouver des partenaires dignes de ce nom, aider le réalisateur à faire son choix dans les techniciens et les comédiens, les lieux de tournages … On forme un tandem, c’est presque des fiançailles ou un mariage ! On doit bien s’entendre et avoir la même vision. Le producteur reste un pas derrière le réalisateur. Je l’accompagne mais jamais je ne vais le précéder.
OI>Film : Êtes-vous fréquemment sollicité par des auteurs de l’océan Indien ?
Fred Eyriey : Beaucoup en court-métrages. J’aime le court-métrages mais malheureusement, ça prend beaucoup de temps et ce n’est pas rentable. Donc pour faire tourner ma boite je dois choisir des projets rémunérateurs. Je produis donc moins de court-métrages qu’avant. Je laisse ça aux jeunes parce que c’est très formateur ! Je me laisse le luxe d’aider deux ou trois projets de courts dans l’année, mais pas plus.
OI>Film : Une question qui revient souvent : peut-on travailler et vivre dans le cinéma sans quitter La Réunion ?
Fred Eyriey : Le luxe serait de faire six mois à La Réunion, six mois à Paris. Pour l’instant, j’en suis pas là. Et puis, je n’ai pas envie de devenir un producteur parisien, ça ne m’intéresse pas du tout. Moi, j’ai envie de produire dans l’océan Indien, c’est mon métier. Malgré tout, je reste un producteur français et je dois m’appuyer sur les réseaux parisiens. Mon idéal serait donc : deux mois à Paris, quatre mois dans l’océan Indien et six mois à La Réunion !
OI>Film : un mot sur votre actualité pour terminer ?
Fred Eyriey : Elle est très chargée en ce moment avec pas mal de films en développement. Notamment le second long-métrage de David Constantin (Voir Lonbraz Kann) qui s’appellera « Regarder les étoiles ». On devrait le tourner à la mi-2020 à l’île Maurice. J’ai un autre projet de film « Disco Boy » d’un réalisateur italien et qui, on le souhaite, se tournera à La Réunion ou à Maurice. Et enfin, je développe « Chasseur de Noirs », d’Henry Helman, adapté du roman de Daniel Vaxelaire que je co-produis. C’est un projet auquel je tiens beaucoup car il est emblématique de pas mal de choses à La Réunion et qui devrait se tourner fin 2020.
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Noir & Blanche, court-métrage de Jean-Laurent Faubourg
Lonbraz Kann, long-métrage de David Constantin