L’équipe d’Oi-film est particulièrement fière de présenter ce catalogue d’archives du patrimoine culturel réunionnais, d’autant que c’est la première fois que le Théâtre Vollard permet la mise en ligne de cette collection. Rencontre avec l’un des membres fondateurs de la compagnie : Emmanuel genvrin
le coup de cœur D’OI>FILM
C’est une grande première, une partie de l’oeuvre du Théâtre Vollard est désormais en ligne. Captations de pièces, documentaires, interviews d’époque, bribes de vie en photos … À travers ces images d’archives, Oi-Film vous invite à découvrir ou redécouvrir, l’univers festif, métissé et engagé d’une compagnie réunionnaise unique en son genre. Un beau voyage dans l’ambiance culturelle des années 80 et 90, à La Réunion.
Tête-à-tête
« On a payé cher notre liberté et notre impertinence, mais pas tant que ça puisque nous sommes restés vivants !»
OI>FILM : Qu’est-ce que ça vous fait de voir qu’une grande partie de l’œuvre de Vollard est désormais disponible en ligne ?
Emmanuel Genvrin : C’est une satisfaction personnelle et un progrès pour la quinzaine de pièces qui existaient jusqu’à présent en dvd. Mais c’est loin d’être la totalité. En captations complètes, citons Marie Dessembre (1981), Run Rock (1987), Millenium Apsara (1993), l’Esclavage des Nègres (1988), Emeutes (1996), Noéla (1993), Baudelaire au Paradis (1997), Séga Tremblad (1999), Quartier Français (2002). En captations partielles, Nina Ségamour (1982), Etuves (1988), Lepervenche (1990), Votez Ubu Colonial (1994), Or une vingtaine manquent à l’appel, Tizan la pèr bébèt (1980), Le Mariage de Mascarin (1982), L’Orféo (1982), Torouze (1984), Colandie (1985, complète en en audio seulement), Le Chasseur de Tangues (1985), Tyé sèt blès katorz (1986), Garson (1987), Nelson et le Volcan (1987), Fémelage (1991), les Dionysiennes (1991), Carousel (1992), Millenium l’Apocalypse (1992), La Malle Debassyns (1990), Kari Vollard (1995), José (1995). Egalement sont absentes les pièces classiques, Le Triomphe de l’Amour (1983), Le Médecin Volant (1985), Le Barbier de Séville (1986), Amphitryon (1990). Quant aux deux premières, Ubu Roi (1979) et Tempête (1980), elles ont été captées mais ne sont pas montrables en l’état. Il y a un gros bémol : la plupart ont été filmées en amateur. Fallait-il les proposer au public ? Oui, car ces images sont mémorielles et avec leurs making of, elles témoignent de la popularité et de la créativité d’une troupe et d’une époque. Restent les 3 opéras Maraina (2005), Chin (2010) et Fridom (2018), captations très professionnelles et diffusées à la télévision qui seront l’objet d’une présentation à part.
OI>FILM : Êtes-vous nostalgique des années 80/90 à La Réunion ?
Emmanuel Genvrin : Nous avons eu la chance, aux côtés de Danyel Waro et Ziskakan (Nous sommes nés la même année, en 1979.), de participer à l’émergence d’une identité réunionnaise, de l’avoir accompagnée pendant quarante ans et finalement d’en sortir par le haut, avec 3 créations d’opéras, une exception dans l’outre-mer français. Il restera de nous des œuvres sous forme de textes et de captations, mais aussi d’institutions que nous avons fondées comme le théâtre du Grand Marché devenu Centre Dramatique National ou Jeumon devenu Cité des arts de Saint-Denis. Depuis, le théâtre a changé dans sa forme, dans son contenu, dans son économie et correspond moins à ce que nous avons vécu. Disons qu’il est devenu plus « classe moyenne » et imite davantage la métropole. Il n’a plus le caractère populaire, l’importance ni l’influence que nous avions autrefois. Car la société a évolué et les combats ne sont plus les mêmes : n’oublions pas que les acteurs de couleur sur scène, l’usage du créole, la parité homme-femme, l’intégration de la musique, des arts plastiques et de la gastronomie au théâtre doivent beaucoup à Vollard.
OI>FILM : Pouvez-vous nous donner trois bons souvenirs de cette époque ?
Emmanuel Genvrin : Ah on s’est beaucoup amusé ! Je dirai : 1) d’avoir repeint la falaise du Cap de la Marianne en 1988, coup de pub pour la pièce Etuves. 2) D’avoir reconstruit à l’identique la Grande Chaloupe avec ses rails dans un hangar SNCF à Trappes en 1996 pour la pièce Lepervenche. 3) D’avoir traversé Madagascar en taxi-brousse pour jouer l’opéra Maraina lors d’une représentation mythique à Fort-Dauphin en 2007.
OI>FILM : Ça n’a pas toujours été facile pour le théâtre Vollard. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Emmanuel Genvrin : Nous avons connu des censures, des coups de bâtons, des provocations, des menaces, des procès, des grèves de la faim, des faux rapports, des redressements judiciaires, des occupations, des pétitions, des manifestations, des concerts de soutien, etc. On a payé cher notre liberté et notre impertinence, mais pas tant que ça puisque nous sommes restés vivants ! Il y en a qui parlent de résilience, ça doit être ça.
OI>FILM : Quelles relations entretenez-vous aujourd’hui entre les membres de Vollard ?
Emmanuel Genvrin : Nous avons gardé des liens très forts et formons comme une famille. Evidemment nous vieillissons. C’est pourquoi, dans une île qui perd historiquement la mémoire, je tiens tant à maintenir la flamme. Pas seulement pour nous – j’ai compté plus de 500 « anciens de Vollard », acteurs, musiciens, technos -, mais pour un public qui ne nous a jamais trahis : au bas mot 450 000 spectateurs. Dernièrement une personne m’a dit : « je n’ai jamais assisté à vos pièces mais on m’a dit que Vollard, c’était bien ». On continue de nous saluer dans la rue, on nous remercie, on nous regrette. Certains d’entre nous, comme le comédien Arnaud Dormeuil ont laissé un souvenir très présent. Et des chansons comme « Reste la case Cafrine », du spectacle Séga Tremblad, font désormais partie du folklore.
OI>FILM :Quelle est votre actu aujourd’hui ?
Emmanuel Genvrin : Avec Jean-Luc Trulès nous finalisons l’opéra Fridom, après quoi la compagnie se mettra en veilleuse. Les uns et les autres sont aujourd’hui recasés et pas mal sont encore dans le métier, jouent ou enseignent le théâtre. En ce qui me concerne, je suis souvent sollicité par des universitaires ou des journalistes et je réponds. J’écris des nouvelles dans diverses revues, des romans chez Gallimard et si j’écris du théâtre, c’est pour les autres.