L'Audiovisuel est son métier, la bande dessinée sa passion. Une tendance qui, ces derniers mois, tend à s'inverser. Depuis longtemps, le réalisateur travaille pour la télé, notamment pour la publicité à Madagascar. De plus en plus, il se met au cinéma. Franco Clerc s'est essayé à quelques courts-métrages et au documentaire. Le dernier, « À chacun son combat » a reçu le prix du public cette année aux Rencontres du film court de Madagascar. Cette semaine, « Le fils de Samy » sort sur OI>Film.
Franco Clerc, auteur de bande-dessinée et réalisateur était à la Réunion en octobre dernier. Invité au Salon du livre Athéna à Saint-Pierre, nous l'avons rencontré à l'issus de l'évènement où il présentait son dernier opus « HAZA LAHY », élue meilleure BD en français du continent Africain, au Festival International de BD d'Alger. Rencontre.
OI>Film : Votre travail, que ce soit dans le cinéma ou la bande-dessinée, s'inspire des faits de société. La thématique du « Fils de Samy » n'a donc pas été pris au hasard, pourquoi cette histoire ?
Franco Clerc : Ça part de différentes envies. La première étant de faire quelque chose de bien ancré dans la culture malgache. En fait, des personnalités influentes dans le milieu du cinéma à Madagascar me reprochaient souvent de faire des réalisations à l'américaine qui ne parlent pas assez de Mada et qui ne montrent pas assez le pays. Je fais référence à mon premier court-métrage « Cohabitation » ou à ma collaboration avec Ando Raminoson sur « Ody Vy ». Voilà pourquoi j'ai choisi de raconter une histoire qui se déroule dans le Madagascar profond.
OI>Film : Et du coup, on parle de Madagascar et on associe des thèmes lourds comme la stérilité masculine, le mariage des filles à 15 ans …
Franco Clerc : On m'a fait comprendre que si je voulais diffuser mes films, il fallait faire un truc bien malgache avec un peu de misère, un peu de paysans et donc j'ai joué le jeu.
OI>Film : Ça veut donc dire que le « Fils de Samy » a été fait à contre-coeur ?
Franco Clerc : Pas du tout, ça m'a forcé à me recentrer sur cette identité malgache. Comme je suis sensible aux faits sociaux, aux différences, aux décalages et aux injustices... J'ai naturellement parlé de ces thématiques et de ce couple typique à Madagascar. Là-bas, les hommes, même s'ils sont très âgés peuvent prendre de très jeunes filles pour épouses. Et puis, dans ce film je parle surtout de la contradiction entre les traditions, les croyances et la modernité incarnée par la jeune femme. Le couple n'arrive pas à avoir d'enfant, la femme souhaite aller voir un médecin, l'homme lui préfère croire dans les rites et croyances quitte à sacrifier toute sa richesse.
OI>Film : Quel est le contexte social de votre film « À chacun son combat » ?
Franco Clerc : Nous sommes en avril 2018 à Antananarivo à Madagascar, nous sommes à un mois des élections présidentielles. Le gouvernement vient de sortir un décret qui vise insidieusement à empêcher l'opposition de se présenter. Evidemment ça n'a pas plu et l'opposition a réussi à mobiliser les Malgaches pour manifester afin que ce décret soit abrogé et que tout le monde puisse se présenter. Cette manifestation a dégénérée. Ça a duré un week-end le 21 et le 22 avril 2018.
OI>Film: « À chacun son combat » revêt un aspect particulier. Il n'y pas de voix-off, pas d'explications. Pourquoi ce parti pris de plonger le spectateur dans le bain directement ?
Franco Clerc : Mon objectif était de ne pas prendre parti. Voilà pourquoi j'ai pris différents points de vues : des manifestants, des forces de l'ordre ou encore des autres personnes qui sont là autour de la manifestation, parce que dans ces situations, il y a beaucoup de gens qui viennent pour autre chose que pour manifester. Il y a les journalistes qui travaillent, des vendeurs ambulants de bouteilles d'eau et de masques de protection... Et puis, il y a les badauds. Le fait d'immerger le public sans parti pris, ni commentaire, c'est aussi une manière de montrer que finalement moi aussi, je participe à la manif à ma manière.
OI>Film : Ce film était-il réfléchi ?
Franco Clerc : Pas vraiment. À chaque fois qu'il y a un mouvement comme celui d'Antananarivo, je me tiens toujours très loin. Je n'aime pas le chaos et lorsque ça risque de dégénérer. Mais cette fois, je sais pas, j'étais curieux. Alors j'y suis allé, d'abord le matin pour prendre la température. Je suis rentré chez moi et j'ai décidé de filmer. J'ai donné une GoPro à un copain et on est s'est mélangé à tout le monde. On s'est retrouvé à la fin.
OI>Film : Quel est votre regard sur le cinéma à Madagascar ?
Franco Clerc : C'est toujours une question assez délicate. Ça dépend de comment on voit le cinéma, ce terme est un peu partagé selon les pays. Pour moi y a deux cinémas à Madagascar. Il y a le cinéma populaire malgache qui se porte très bien. Ce sont des films qui se tournent en dix jours et qui sont vendus en DVD dans la rue le lendemain. Ces films ne sortent pas du pays, la qualité est moyenne mais ça cartonne auprès de la population. Quatre ou cinq titres sortent tous les mois. De l'autre côté, il y a le cinéma « des cinéastes ». Un cinéma porté par des professionnels qui sont partis faire des écoles de cinéma en France ou en Afrique. Ceux-là font du cinéma d'auteur, généralement ce sont des court-métrages qui sont canalisés par les Rencontres du Film Court de Madagascar. C'est donc du cinéma destiné aux festivals et à l'exportation. Ce cinéma là, n'est pas regardé par la population malgache.
OI>Film : Les cinémas malgaches, possèdent-t-ils une caractéristique ?
France Clerc : Je pense qu'il y a beaucoup d'humour dans le cinéma malgache. Le burlesque fonctionne très bien. On aime aussi l'action dès que l'on passe sur des choses plus intellectuelles ou intimistes, ça a moins de public. On regarde beaucoup le cinéma en famille, les Malgaches adorent les comédies.
OI>Film : Un mot sur votre actualité pour conclure ?
Franco Clerc : Dans les tuyaux : je suis en train de finaliser l'écriture d'un long-métrage. Je suis lauréat du fond Jeune Création Francophone organisé par le CNC. Je vais donc partir en résidence à Montréal pour terminer mon scénario. Ce long-métrage sera un film d'animation d'inspiration « heroic fantasy » basé sur les contes et légendes malgaches.